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Bible glosée du XVème siècle imprimée à partir d'un manuscrit du XIII ème siècle On voit avec quelle facilité un copiste pouvait intégrer la glose interlinéaire dans le texte principal
   
   
   
   

LIV          LIVRES CANONIQUES CHRETIENSRES ETIIII            II  LA FABRICATION D'UN TEXTE SACRE


      I    AUTORITE DE L'ECRIT ?
     II    LA FABRICATION D'UN TEXTE SACRE
     III  QUEL ANCIEN TESTAMENT ?
     IV   Y A-T-IL UNE TRADITION APOSTOLIQUE ?
     V   QUEL NOUVEAU TESTAMENT ?
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               SOMMAIRE

LES LIVRES CANONIQUES CHRETIENS
II LA FABRICATION D'UN TEXTE SACRE
1 -La Restauration de la Foi; ses contradictions
2 -Quel est le contenu du Canon?
3 -L'historique de la fabrication
         a) Illusions de l'Union
         b) L'époque Carolingienne
         c) L'époque Féodale
        d) A partir du XIllème siècle
        e) Le Concile de Trente
        f) Et le livre fut ...

                                        1 -La Restauration de la Foi, et ses contradictions

     La Restauration de l'Ancien Régime politico-religieux, qu'avait balayé la Révolution Française, apporta aux héritiers des divers pouvoirs la consolation d'une revanche qui ne put,toutefois, extirper totalement le souvenir des peurs extrêmes naguère éprouvées. Particulièrement dans le domaine religieux, le Sang des "Martyrs" de la Convention exigeait l'oubli définitif du culte de la Raison qui avait détrôné pendant quelques années celui du Dieu fait homme et crucifié. La nécessité d'une entière compensation tendit à renforcer le caractère historique de la vie supposée de ce Sauveur et des récits qui la contaient, pour que chacun crut plus fortement qu'avant en la vérité et la sainteté de l'Eglise Catholique Romaine; les sarcasmes anciens des philosophes des Lumières ne manifestaients-ils pas leur caractère mensonger puisque la Révolution était vaincue?

      Ce mouvement s'incarna en la personne de l'abbé Antoine Garnier, sulpicien, à son retour en 1803 de son exil à Baltimore. Nommé Supérieur général du Grand Séminaire de Saint-Sulpice en 1836, il enseigna continuellement l'Ecriture Sainte par des cours archivés à Saint-Sulpice sous la forme d'un amas d'environ 5.000 feuillets. Il forgea notamment l'hypothèse, vite devenue une certitude avérée ,d'un évangile en hébreu attribué à Matthieu qu'il data de l'an 41 de notre ère Il data du premier siècle tous les évangiles, de telle sorte qu'à la fin de celui-ci le canon des Ecritures chrétiennes était totalement rédigé et diffusé.

      Depuis lors, les exégètes, y compris nos contemporains dans leur grande majorité, ont épuisé des trésors de science pour perpétuer cet enseignement à quelques variantes près. Nous comprenons avec eux que:
           -D'une part les apôtres, instruits par leur divin Maître, sont devenus, de simples pêcheurs galiléens, non seulement des maîtres en théologie, mais la source de toute la "science théologique" puisque le travail de nos exégètes consiste à commenter sans fin les enseignements que les apôtres auraient confiés à leurs plus proches disciples. Ces exégètes nous démontreraient ainsi scientifiquement l'inanité de certains textes sacrés, tel l'évangile dit de Marc (VIII -14, 21) où Jésus se plaint de l'inintelli-gence des Douze, et surtout les Actes d'Apôtres (IV -13) où l'auteur, Luc dit-on, par l'intermédiaire du Grand Prêtre et autres membres du Sanhédrin, constate que Pierre et Jean sont des illettrés, des ignares et des simples d'esprit après le passage de l'Esprit-Saint à Pentecôte.
           -D'autre part le peuple Chrétien, à qui sont destinés tous ces écrits, y compris les épîtres apostoliques,possèderait une culture suffisante pour comprendre et assimiler ces développements théologiques pour le moins ardus; ce qui supposerait une fréquentation des écoles supérieures réservées à l'élite de la société romaine. Ceci nous conduirait à contester totalement deux "vérités" avancées par certains historiens:
                 En premier lieu, la censure impériale; plus précisément il ne s'agit pas tant de nier l'existence et l'efficacité de cette      censure que de remarquer combien fut miraculeux l'oubli dont bénéficièrent les écrits chrétiens. En effet, ils auraient été      complètement rédigés et diffusés dans les années 70 à 100, c'est-à-dire principalement sous le règne, de 69 à 96, des      Flaviens: Vespasien, Titus et Domitien; véritables vainqueurs des Juifs;sans un tel oubli miraculeux, ils n'auraient pas      supporté des textes caricaturant leur pouvoir impérial par la figure d'un esclave crucifié sous l'intitulé "Roi des Juifs"; la notion d' "Histoire Sainte" chrétienne prend ici toute sa consistance.  
                En deuxième lieu, l'illettrisme du peuple chrétien. En effet, les exégètes nous démontreraient scientifiquement que le      peuple chrétien dès l'origine regroupe des fidèles particulièrement cultivés et aptes à tenir les raisonnements les plus      complexes. Certes, on pourrait s'étonner que la "vérité" de la doctrine chrétienne, présentée par de tels serviteurs de la      parole, n'ait pas attiré avant les 4ème et 5ème siècles de notre ère les élites gréco-romaines dites aujourd'hui païennes ou      qu'un Marc-Aurèle ait écrit sur l'obstination des Chrétiens ou encore que ces philosophes- théologiens aient choisi de      s'appeler "chrétiens" nom qui manifestait une hostilité viscérale envers l'Empire romain, alors que leur culture se nourrissait      de sa substance!
     Si les voies de la Providence, parfois tracées sur les eaux, sont difficiles à discerner, Celle-ci n'en gouvernait pas moins le      monde chrétien; à preuve cette définition trinitaire de la divinité qui aurait été exprimée dès la fin du premier siècle, définition      fortement teintée d'une métaphysique aristotélicienne, que la chrétienté découvrira seulement à partir du 9ème siècle par      l'intermédiaire des Arabes!

      En définitive, s'il faut dénoncer les anachronismes et contradictions des exégètes emprisonnés dans leurs textes, il importe de chercher à comprendre une telle attitude généralisée; d'autant plus surprenante qu'elle se veut une "recherche", marquée donc du signe du doute absolu alors qu'elle se traduit par des compilations répétitives: un élément de texte trouvant son explication non par les divers états culturels de l'auteur supposé mais par un autre élément du même texte, si bien que les séminaires de recherche finissent par rappeler les classes rabbiniques décrites dans les romans des frères Tharaud, ou même les réunions de moines thibétains qui laissent à d'énormes moulins à prière le soin de guider leurs exercices.

     Ce consensus au sujet du caractère divin des textes canoniques chrétiens s'explique,trop facilement il est vrai, par l'intérêt professionnel de toute une caste: traducteurs, théologiens, philologues etc... puisque cette sacralité rejaillit inévitablement sur les travaux personnels des intéressés; ces travaux perdraient sans celà beaucoup de leur valeur, tant il est vrai qu'il y a un seul latiniste, helléniste ou humaniste de génie par génération; n'est pas Gaston Boissier, Mario Meunier ou Hans Jonas qui veut! La vie de Jésus constitue un filon littéraire de première valeur, même pour des journalistes.

      Le consensus trouve une meilleure raison dans le fait que ces exégètes sont généralement nés chrétiens, catholiques ou protestants, voire Juifs religieux. Ils ont donc pratiqué dès le plus jeune âge le "Livre", Ancien ou Nouveau Testament; ils y sont attachés de toutes leurs fibres; ils l'aiment, projetant sur Lui leur tendre affection d'enfants pour leurs parents-lecteurs.

     Et si les chrétiens connaissent Alfred Loisy, ils rejettent les conclusions de ce dernier, car ils ont trop besoin que Jésus, et Paul surtout, vivent concrètement leurs légendes pour s'y associer d'une certaine façon; dans le "Livre", ils se retrouvent eux-mêmes et, bien qu'ils ne puissent l'admettre ils s'auto-idolâtrent; emprisonnés dans leurs textes, emprisonnés dans leurs personnes, fiers de leurs écoles et de leurs Maîtres; ce sont, en définitive, d'inconscients quêteurs de servitude; conscients, ils seraient des imposteurs!

      L'on ne peut toutefois s'empêcher d'espérer que le hasard fera surgir un doute dans leur conscience quant à la "sainteté" de cette religion qui condamne l'homme à une soumission perpétuelle, au lieu de lui donner dès ici-bas les moyens de son épanouissement; qui condamne Dieu lui-même à la pire des tortures pour parfaire son rôle de Sauveur. Il y a là, en effet, une telle contradiction entre les buts avoués et les voies choisies, que l'on est saisi, comme malgré soi, d'une terrifiante pensée, ancrée sur la nécessité pour une religion incarnée en un Etat temporel dès 756 d'exercer sans limite sa puissance sur des fidèles illettrés et faibles d'esprit, comme le constatent les Actes d'Apôtres. La morale issue de cette religion n'est qu'une succession de "barrières"; l' homme, fautif par nature à cause du péché originel, trouve sa joie dans l'obéissance à ses Maîtres, assistés, eux, du Saint-Esprit.

      Dans de telles conditions, vouloir tracer l'histoire des origines du christianisme à partir des seuls textes chrétiens, sans référence aucune à la sociologie de l'époque,constitue, plus qu'une forme de paresse intellectuelle, une véritable perversion. L'un des plus appréciés Directeurs d'études de l'E.P.H.E. 5ème section, Maurice Goguel, chargé spécifiquement de cette histoire, attirait pertinemment l'attention de ses auditeurs,étudiants, ou élèves de l'année scolaire 1939-1940, sur le mur impénétrable que constituaient ces textes pour la compréhension de ces origines. Les exégètes, nos contemporains, rendent ce mur encore plus haut et plus épais.

                                                2 -Quel est le contenu du Canon?

     Mais enfin, quel était l'opinion de l'Eglise institutionnalisée par Constantin au sujet de ce Canon?
Si celui-ci existait réellement dès la fin du premier siècle; s'il était recopié très fidèlement, comme par une photocopieuse, par des librarii éclairés par le Saint-Esprit pour leur éviter toute faute d'interprétation et même toute espèce d'erreur matérielle; s'il était diffusé miraculeusement à travers des communautés chrétiennes clandestines et s'entredéchirant violemment; s'il était lu dévotieusement plus tard dans les associations d'entre-aide funéraire agréées par les Pouvoirs publics, créées dans les villes importantes de l'Empire, véritables berceaux d'une future administration religieuse impériale; cette Eglise institutionnelle devait vivre chaque moment décisif de sa vie les yeux rivés sur le Saint Livre, où se trouvait fixée immarcesciblement la volonté de son Dieu.
      Il suffit donc de se reporter aux actes des Conciles oecuméniques pour constater l'importance extrême qu'aurait conférée l'Eglise à ces textes; et d'abord évidemment aux actes du Concile de Nicée 1. Celui-ci exposa principalement la foi des 318 Pères rassemblés par Constantin le 19 Juin 325 . Or ce symbole de la foi ne contient aucune référence implicite ou explicite à un Canon de textes ou même à un seul texte; pas plus qu'il ne date la naissance du Sauveur, ou cite sa mise en croix.
      En ce qui les concerne, les règles édictées par le Concile, au nombre de 20, se réfèrent en deux fois à un texte explicite:            - Dans le paragraphe XVII, sur les clercs qui prêtent à intérêt: "beaucoup de membres du clergé, se livrant à l'avarice et à la honteuse recherche du gain, ont oublié la parole divine: il n'a pas donné son argent à intérêt"; référence au psaume XIV -5 Les textes de l'Ancient Testament étaient progressivement diffusés dans les communautés depuis que les chrétiens romains avaient chassé Marcion de leur groupe, dans l'année 145.
           -Dans le paragraphe II sur ceux qui sont admis dans le clergé après le baptême. Il s'agit
"des hommes passés tout récemment de la vie païenne à la foi chrétienne, et catéchisés en peu de temps, aussitôt conduits au bain spirituel et en même temps élevés à l'épiscopat Il est besoin d'une plus longue épreuve. Car le texte de l'apôtre est clair qui dit: que l'évêque ne soit pas néophyte".
La citation est extraite de la première épître dite de Paul à Timothée (chapitre III -1 à 8). Le passage décrit un type d'évêque tel qu'il existait depuis le IIIème siècle, c'est-à-dire responsable auprès de l'Administration impériale de la discipline de son association. Il faut qu'il sache bien gouverner sa propre maison et tenir ses enfants dans la soumission; il faut de plus que ceux du dehors lui rendent un beau témoignage En d'autres termes, nous sommes en présence d'une évidente interpolation datant de ce IIIème siècle; ainsi donc cette règle du Concile de Nicée l nous fournit une preuve certaine de la manipulation d'un texte classé dans le Canon.

     Le corpus paulinien constitue de fait la partie la moins authentique du Nouveau Testament; sa valeur, pour beaucoup, prime celle-là même des évangiles. On raconte avec émotion que Spératus, chef du groupe des douze Scillitains décapités pour leur foi en Christ le 17 Juillet 180 à Carthage, portait dans sa musette les épîtres de Paul. Aussitôt, l'imagine-t-on, ces textes représenteraient un ensemble identique au corpus actuel. Toutefois, il faut bien le reconnaître, ni la "Passion des Scillitains" ni les actes de l'interrogatoire conduit par le proconsul Vigellius Sartinus ne précisent soit l'intitulé des lettres, soit leur contenu. Les "Remarques sur la littérature épistolaire du Nouveau Testament" d'Alfred Loisy, même si l'on conteste tel ou tel point particulier, par exemple son interprétation de la lettre aux Romains (XIII -1,7), ont apporté la preuve décisived'une manipulation généralisée de ces instructions apostoliques dont les rédactions successives s'établirent, à quels siècles?

     Il fallut attendre la deuxième décade du Vème siècle pour que (Saint) Augustin dressât un état pratiquement définitif des titres des livres reconnus sacrés de l'Ancien et du Nouveau Testament; auparavant, Flavius Josèphe au premier siècle dans "Contre Apion", et Méliton de Sardes à la fin du IIème siècle avaient donné les titres de livres appartenant à l'Ancien Testament.
      Augustin connaissait, sans doute, les écritures "divines" acceptées par les Eglises de Milan et Rome au 4ème siècle, écritures dont une liste incomplète fut publiée dans un manuscrit du 8ème siècle, que nous appelons ordinairement le canon de Muratori, du nom de son inventeur.
      La liste d'Augustin est incluse dans le tome II du "De doctrina Christiana", ouvrage en quatre tomes dont la rédaction s'est étalée sur au moins quinze ans depuis le début du 5ème siècle; l'auteur voulait non seulement enseigner les connaissances nécessaires à la compréhension des écritures sacrées, mais former des orateurs aptes à convaincre de rechercher le bien et conduire à la sagesse par l'enseignement de la Bible. La liste d'Augustin tient à présenter des livres canoniques authentiques, garantis par leur origine apostolique et la tradition transmise aux Eglises par les Apôtres auxquels ont succédé les Evêques. La constatation de ces critères d'authenticité est particulièrement importante puisqu'ils seront repris ultérieurement, tels quels, par les Conciles de Trente et de Vatican II.

     Malheureusement, toutes les Eglises du temps d'Augustin ne pouvaient partager son opinion sur la canonicité des livres "inspirés", du fait même de leur éparpillement géographique. En d'autres termes puisque des différences apparaissaient inévitablement d'une communauté à l'autre, les origines de ces dernières différaient également, suivant la pensée augustinienne. A la limite elles pouvaient relever d'autres apôtres que les douze reconnus généralement. En effet, Jésus, Sauveur de l'humanité, dans sa prescience divine, savait bien que les pays les plus peuplés au monde se situaient à l'est, l'Inde et surtout la Chine.
                               "La Chine existe et formidablement" ( 1 )
Jésus aurait dû former une armée d'enseignants, orateurs pris parmi les gens les plus intelligents et cultivés pour agir le plus efficacement possible. Or, si l'Apôtre Thomas a séjourné, dit-on, quelques temps en Inde, personne parmi les catholiques romains ne s'est aventuré en Chine avant la fin du Moyen-Age. Il convient d'en déduire que
            -D'une part, le nombre,douze,des Apôtres est un pur symbole, ce qui a été démontré il y a une soixantaine d'années par Saintyves : "Le nombre des apôtres ne répond pas à une réalité historique mais repose avant tout sur des fondements astrologiques" ( 2 )
           -D'autre part, c'est outrancièrement que l'Eglise catholique romaine se qualifie d'universelle; son champ d'action se réduisait avant les grandes découvertes de Colomb et autres navigateurs, à l'Europe occidentale.

      Avant même la liste d'Augustin, les évêques de Rome, particulièrement Damase, étaient persuadés de la nécessité de faire le tri entre livres canoniques et les autres; une Assemblée tenue en 382 à Rome permit à Damase, selon la tradition, de publier un décret "De libris recipiendis", décret qui sera attribué faussement à un de ses successeurs, Gélase, mort à Rome en 496.

     L'oeuvre apocryphe de Gélase, écrite au début du Vlème siècle (avant 519), comprenait une liste de livres "canoniques" romains, elle reprenait en dernière partie le décret de Damase avec un index des auteurs interdits.
      A vrai dire, ces considérations sur des listes de livres -nous n'en connaissons que les titres et non le contenu -reçus au moins par l'Eglise de Rome risquent de nous cacher l'événement fondamental, c'est-à-dire la traduction par Jérôme des livres de la Bible à la fin du IVème siècle et première décade du Vème siècle. Ce travail, à la fois considérable et de grande qualité, tendait vraisemblablement à pallier la disparition de la plupart des "Vieilles latines" dûe à la persécution de Dioclétien, et les insuffisances linguistiques et littéraires de nouvelles traductions de la Septante en latin au milieu du IVème siècle. Jérôme était le seul, à son époque, à pouvoir traduire en latin des écrits bibliques rédigés en grec ou hébreu. Il s'agit véritablement de l'acte fondamental puisque cette traduction de Jérôme, dite alors la Vulgate, devait devenir en 1592 -après les manipulations de combien de copistes et de traducteurs? -le texte officiel imposé par le Pape et catalogué de texte divin.

                                        3-L'historique de la fabrication
a) -Illusions de l'Union
      Pour bien assimiler les conditions proches et lointaines de la fabrication de ce texte, il convient de se référer à quelques points d'Histoire:

     Après l'abandon de la Terre Sainte par les croisés au milieu du XIIIème siècle, et la tenue du concile de Lyon II en 1274, diverses tentatives avaient vu le jour pour réunir les deux Eglises chrétiennes séparées depuis 1054, la Romaine et celle de Constantinople. Les Grecs de Constantinople cherchaient à jouer la carte de l'union dans l'espoir d'obtenir de l'Occident une aide efficace pour se dégager définitivement de la menace turque de plus en plus précise. Finalement, les deux parties convinrent de se réunir en un concile, au frais des Latins, convoqué pour le début de 1438 à Ferrare, ville libre et sûre; ce Concile fut transféré à Florence durant l'hiver suivant. Le Décret d'Union avec les Grecs fut ratifié au cours d'une cérémonie solennelle, le 6 Juillet 1439, à Sainte Marie des Fleurs à Florence. Quelques semaines plus tard, les Grecs quittèrent l'Italie sans avoir reçu l'aide économique et militaire escomptée. Toutefois, une croisade contre les Turcs fut conduite par le roi de Pologne Ladislas II; elle subit une défaite totale en 1444 à Varna, en Bulgarie, d'où elle tentait de chasser les Ottomans dirigés par le Sultan Murad II; cette défaite rendit inéluctable à moyen terme la chute de Constantinople. L'Empire romain d'Orient devait sombrer avec le dernier Constantin le 29 Mai 1453,date conventionnelle de la fin du Moyen-Age; soit approximativement au moment de l'invention de l'imprimerie.
      Cependant, les efforts se poursuivaient pour réaliser l'union avec les autres Eglises séparées; la Bulle du 4 Février 1442 proclame l'Union avec les coptes, jacobistes de tendance monophysique. La Bulle "Cantate domino" du 4 Février 1442 constitue un document unique dans la suite des actes des conciles oecuméniques depuis le premier à Nicée en 325; elle est la seule pièce attestant la liste des livres de la Bible chrétienne dans ses deux parties: Ancien et Nouveau Testament. Mais elle ne fait qu'en énumérer les titres,comme si celà suffisait à garantir un contenu absolument identique dans les diverses et nombreuses versions existant à la fin du Moyen-Age. La confusion en ce domaine était telle que le Siège de Rome se trouvait dans l'incapacité d'imposer ou même de recommander aux coptes, représentés par le supérieur du couvent de Saint Antoine en Egypte, ne serait-ce qu'un texte agréé par le Vatican, pour cause de multiplicité contraignante.

b) -L'époque Carolingienne
      Déjà à l'époque carolingienne, les manuscrits bibliques étaient remplis de si nombreuses fautes de copistes -fautes matérielles sûrement; comment déceler les fautes de sens sinon en suivant sa propre opinion? -fautes de copistes telles que Charlemagne ordonna, vers 797, d'entreprendre la révision de la Bible pour effacer:
            "un mélange désolant de textes excellents et de textes détestables, quelquefois deux traductions du même livre      juxtaposées, les anciennes versions mêlées à la Vulgate dans une confusion indicible et les livres de la Bible copiés dans      chaque manuscrit dans un ordre différent" .

      Alcuin remit sa version à Charlemagne à Noël 801. Le manuscrit d'Alcuin a disparu; cependant, les bibles alcuiniennes se répandirent après sa mort, du fait de la prééminence du scriptorium de Tours en tant que centre de production de manuscrits; Alcuin avait été abbé de Saint-Martin de Tours de 796 à sa mort en 804. Alcuin reprit la traduction de Jérôme, purifiée en partie des interpolations dûes aux autres versions inspirées des "vieilles latines". De cette Bible d'Alcuin date la domination en Occident de la traduction de Jérôme.

     Comme les anciennes versions ne disparurent pas, la révision carolingienne ajouta à la confusion.

      Les moines carolingiens empruntèrent à Cassiodore la distinction méthodologique du livre l de ses "Institutiones", mais ils furent, non pas des "introductores" c'est-à-dire des auteurs donnant les règles générales de l'herméneutique, mais des "expositores" commentant les commentaires des Pères sur les différents livres de la Bible. Par leurs travaux et spéculations théologiques, ces moines poursuivirent en quelque sorte l'oeuvre des Pères, notamment Augustin, Jérôme, Ambroise, Grégoire le Grand, sans omettre Bède le Vénérable "Nouveau Soleil surgi de l'Occident (!) pour illuminer la Terre". Finalement, l'Ecriture leur apparaissait comme:
            "cette forêt profonde aux branchages innombrables, cette mer immense, cet abîme insondable, qui offrent une gamme             de sens aussi nombreux que les couleurs de la queue du paon" .(BTT- Tome 4 "La Bible au Moyen-Age"             Edit.Beauchesne)

c) - L'époque Féodale
      A la confusion carolingienne succède le véritable chaos, dans tous les domaines, consécutif à l'institution de la féodalité et aux invasions scandinaves. L'histoire de la Bible est alors entièrement liée à l'histoire de chaque monastère important et des familles cénobitiques. La période des 10ème 11ème et 12ème siècle tend à une décentralisation intellectuelle, et à une parcellisation du savoir, qui favorise l'infinie variété des textes sacrés. Cependant, une tendance générale se dessine promouvant la naissance d'un nouveau texte biblique, résultat de "l'introduction délibérée de leçons conformes à l'exégèse patristique" .L'on aboutit au 12ème siècle à l'émergence d'un commentaire qui formalise la glossa ordinaria.

      Qu'il s'agisse de manuscrits espagnols remontant peut-être à la recension d'Isidore de Séville (?), du Sud de l'Italie, ou de Rome, la nouvelle Bible monastique se présente sous grand format -les italiennes sont dites géantes -et en plusieurs volumes, bien écrits, illustrés de manière caractéristique, très aérés. L'Angleterre du 12ème siècle produit des exemplaires à l'écriture ample- une grande minuscule -destinés sans doute à la liturgie ou à la lecture au réfectoire. Cependant, comme autrefois, "les écritures étaient corrompues à l'excès par la faute des scribes"; des vocations s'éveillent à nouveau en vue de leur correction; une est certaine; Etienne Harding abbé de Cîteaux (1109 -1133) établit un texte amendé après recherches parmi les manuscrits à sa disposition- mais combien d'autres dans d'autres monastères?- le plus véridique à son avis.

     Son désir était de retourner à l'hébreu original -lequel? -mais il ne cherchait pas à rétablir le texte de Jérôme. Cette Bible devint le manuscrit de base de toutes les bibles cisterciennes Un autre cistercien, Nicolas de Manjocaria, émonda la Bible à son tour, en cherchant à supprimer les ajouts et les interprétations qui lui semblaient erronés.

      Dans cette période du IXème au XIIème siècle, le plus important résida dans le remplacement de l'écriture onciale ou semi-onciale, dite romana littera - écriture en majuscules ou semi-majuscules, écriture en continu sans séparation des mots et sans ponctuation, destinée à la lecture à voix haute- par la minuscule caroline; en Italie du Sud, par l'écriture bénéventine. La caroline s'imposa petit à petit par la rapidité procurée au geste du copiste; l'onciale se rattachait en fait à celui d'un peintre. Cette évolution technique bénéfique eut une conséquence considérable dans l'histoire des manuscrits: l'illisibilité progressive de toute la production littéraire antique et mérovingienne. Sauf exception, un auteur ou un copiste travaillait à partir du dernier manuscrit en sa possession. Il y eut certes des scribes ou des lettrés capables pendant une ou deux générations, dans un monastère déterminé, de lire des manuscrits anciens et de les transcrire en écriture caroline, mais rapidement il devint impossible de les lire puisque obsolètes, au grand dam de Boniface, d'Anselme, de Simon de Gènes, entre autres. Que peut-on faire de manuscrits inintelligibles? On s'en débarrasse en les détruisant ou tout au moins on les oublie dans un coffre, qui servira de cercueil.

     En consultant la description du patrimoine des bibliothèques de France, l'on est frappé par le très petit nombre de manuscrits conservés de l'époque mérovingienne; la plupart des textes, les plus anciens, appartiennent au IXème siècle et suivants. On connait, certes, le lectionnaire mérovingien de Sélestat. et les manuscrits d'Autun, mais ces derniers, selon les bibliothécaires actuels, auraient été conservés parce que peu utilisés. Nous avons subi un véritable cataclysme littéraire, qui nous coupe définitivement de nos racines et justifie pleinement le titre d'un ouvrage connu "Le mirage des sources" ( 3 ); cataclysme accentué par la tradition du faux qui sévissait au moins depuis le IIIème siècl

d) -A partir du-XIIIème siècle
      A l'hétérogénéité des trois siècles précédents:
                                      "Autant de manuscrits, autant de Bibles différentes",
le XIIIème siècle oppose, surtout après 1230, une Bible apparemment uniforme, un "ordre" dont la cause réside vraisemblablement dans l'intervention de l'Université à Paris pour la production de manuscrits destinés aux maîtres et étudiants. Les scriptoria des couvents perdent l'exclusivité qu'ils tenaient depuis Cassiodore dans la deuxième partie du VIème siècle; ils sont même concurrencés par un commerce libéral du livre; à Paris, des artisans professionnels : enlumineurs, scribes, fabricants de parchemin, figurent dans les rôles d'imposition. Ce que l'on désigne habituellement par "Bible de Paris" est une bible entière en un seul volume au format de poche du fait d'interlignes resserrés, d'une écriture très fine, d'un parchemin presque transparent. Cet ouvrage répondait aux besoins non seulement des universitaires, mais des prêcheurs des Ordres mendiants, qui combattirent le flot des hérésies sous lequel l'Eglise de l'époque faillit être submergée. L'ouvrage se caractérisait donc par une réduction de la surface écrite, et des marges très amples, facilitant l'apparition de gloses- commentaires moraux historiques ou autres - encadrant le texte; mais on insère aussi des postilles, c'est-à-dire des notes marginales en continu, à la suite de certains mots dans la Bible. Les maîtres les dictaient aux élèves avant de donner leurs propres explications.

      Enfin, un Anglais professant à Paris, Etienne Langton, divisa la Bible en chapitres, divisions conservées de nos jours. La mise en page était inventée; cette pratique se répandit en Europe compte tenu du progrès décisif apporté dans la lisibilité des textes sacrés.

      Dans la présentation de "La Bible de Paris", l'utilisation de la division par chapitres "moderne" est tout aussi typique que l'ordre des livres et des prologues, et une interprétation des noms hébreux. Toutefois, on ne peut en déduire qu'il existait une Bible officielle de l'Université avec un texte stable; les libraires, dont l'activité était réglementée par l'Université, ne pouvaient pas du seul fait de la copie manuelle produire des textes absolument uniformes ou rigoureux. La révision des textes restait donc d'actualité. Roger Bacon, dans son Opus Minus, fustige les libraires patentés par l'Université. En fait, le texte parisien ne résultait pas du travail d'un Comité désigné pour établir un texte standard pour l'Université, il prendrait plutôt la suite du travail de révision effectué au XIIème siècle à partir de la Glossa ordinaria; l'uniformité apparente masquait des différences très importantes dans les textes; entre les Livres, il existait des variations considérables:
                        "Une véritable uniformité du texte sacré n'apparaitra qu'à une période bien plus tardive"
      Les textes copiés étaient si défectueux que les Ordres mendiants, Franciscains et Dominicains, établirent des listes de corrections à apporter, ou "correctoires"; la plus savante fut réalisée à Rome par Hugues de Saint-Cher. Il collationna tous les exemplaires qui lui furent accessibles, et créa un système de signes pour individualiser les sources et évaluer les commentaires. Mais la présentation, trop complexe pour les copistes, de ce travail remarquable ne lui permit pas de s'imposer; si bien que le texte médiocre du XIIIème siècle persistera jusqu'au XVème siècle, où il se multipliera dans les premières Bibles imprimées après 1450. ( 4 )

     Avant la phase ultime, il convient d'examiner deux apports importants du XIIIème siècle pour l'enseignement, l'exégèse et la prédication: la Concordance et la Glose. Cette dernière certes existait depuis que le sens des écritures disparaissait derrière un voile d'obscurité qui nécessitait des explications claires. A l'origine, la glose signifie "synonimie"; déjà les premiers glossaires étaient "de véritables dictionnaires des interprétations courantes de chaque mot difficile"
      Au XIIème siècle les livres contenant des gloses de la Bible se multiplièrent et aboutirent dans le dernier tiers du siècle à ce qu'on appelait désormais: la Glose de la Bible.

     Au XIIIème siècle, la Glose de la Bible s'imposa; elle devint pour tous le corpus de l'interprétation caractéristique biblique; elle était véhiculée par des livres dont les pages étaient disposées en trois parties:
           - Dans une colonne centrale, on écrivait le texte de la Bible, d'une écriture à gros module;
           - Dans les colonnes à droite et à gauche du texte on recopiait des gloses marginales individualisées en paragraphes,            clairement séparées les unes des autres;
           - Dans les espaces interlinéaires de la colonne centrale, étaient réparties les gloses beaucoup plus courtes et localisées            juste au-dessus des mots expliqués.
De surcroît, les gloses marginales ou interlinéaires étaient écrites dans un module plus petit, la moitié environ de celui du texte central; elles en sont donc nettement différenciées. Il s'agit là d'un phénomène typique du christianisme latin; si bien que dès la fin du XIIème siècle le Pape avait indiqué que tout enseignement de la Bible sans glose devait être prohibé.

                      En définitive, la glose devint une partie intégrante du texte sacré;

elle devait son autorité à des Maîtres tels Anselme à Laon et P.Lombard, avant d'entrer dans une phase de cristallisation.

     Au XIIIème siècle, un des meilleurs professeurs, Etienne Langton par exemple, "ne fait ni plus ni moins que gloser la glose". On tend à l'uniformité. "On voit là l'usure d'un travail scolaire, et c'est peut-être celle qui affecte l'exégèse biblique toute entière au XIIIème siècle".

      L'instrument de travail, vraisemblablement le plus important, produit par le 13ème siècle est la Concordance verbale des Ecritures. On accordait généralement une grande attention au sens, littéral ou allégorique, de chaque mot du livre divin; discerner ce sens demandait finalement une comparaison de tous les emplois du mot dans les passages des Ecritures où on pouvait le trouver. On commença par inclure des tables de référence dans les gloses, on les appela concordia, mais c'était un subterfuge peu pratique. Vers 1230, les Frères dominicains du couvent de Saint Jacques à Paris, sous l'impulsion, semble-t-il, de Hugues de Saint-Cher, "qui a produit des postilles sur toute la Bible", ont édité la première concordance en résolvant deux problèmes cruciaux: celui d'un système de références, et celui du regroupement technique et de la mise en ordre des mots.

      Une deuxième, puis,vers 1280, une troisième concordance virent le jour à Saint Jacques. La dernière fut publiée par les libraires patentés de l'Université; elle était disposée en petiae et fut diffusée dans toute l'Europe Occidentale; sous forme de livres de luxe, soigneusement rédigée sur parchemin, avec initiales décorées et historiées; livres destinés à des prélats, dont, au 14ème siècle, ceux de la Cour pontificale à Avignon. Jusqu'à la fin du Moyen-Age, cette concordance exerça une influence profonde sur la littérature exégètique et homilétique. Martin Luther en 1513 composa son "Commentaire de Psaumes" avec l'aide de la concordance verbale.

     C'est précisément par Martin Luther que s'ouvrit l'ultime parcours,de l'infinie variété des Bibles reproduites une à une manuellement, à l'invariabilité rigoureuse d'un texte imprimé, d'un coup, en milliers d'exemplaires.

e) -Le Concile de Trente
      L'invention de l'imprimerie et celle du papier révolutionnèrent totalement les conditions de diffusion de l'écrit; la Réforme protestante en profita efficacement pour ses traductions de la Bible en langues vernaculaires, traductions distribuées abondamment en France et en Allemagne. Elle lança un formidable défi à la Papauté romaine, si bien que celle-ci dût, pour conserver entière son autorité,employer toutes les ressources d'un conseil oecuménique. Ce concile, réuni à Trente le 13 Décembre 1545, sans la participation des Protestants, examina dès sa quatrième session du 8 Avril 1546 les problèmes relatifs à la réception des Livres Saints et des Traditions apostoliques, problèmes traités par le décret "Sacrosancta oecumenica"; un second décret "Insuper eadem" désigna la "'Vieille édition" de la Vulgate comme texte authentique et institua un régime de censure préventive par la création de l'Imprimatur. ( 5 )

     On jugera de l'embarras du Concile devant le chaos existant au 16ème siècle en matière de littérature "divine" : désigner comme texte "authentique" - c'est-à-dire inspiré divinement - la vieille édition de la Vulgate approuvée dans l'Eglise même par le long usage de tant de siècles c'était avouer que personne ne connaissait cette édition; en effet, il aurait suffit de montrer du doigt le manuscrit " inspiré" parmi toutes les éditions latines des Livres Saints en circulation. Le texte est inspiré ou ne l'est pas. Le Concile n'avait pas à rechercher un texte qui "deviendrait" la version authentique. L'inspiration "divine" doit naturellement conférer aux écrits correspondants des qualités exceptionnelles d'éclat et de lisibilité telles qu'aucun doute ne soit permis pour la reconnaître.
      En fait, ce n'est qu'à partir du 9ème siècle que les traductions attribuées à Jerôme affichèrent une progressive prééminence, par suite de l'influence de 1a Bible d'Alcuin; celui-ci n'eut jamais en mains les traductions hiéronymiennes originelles, écrites en onciale, c'est-à-dire en écriture continue sans ponctuation, qu'il n'aurait pas pu déchiffrer.

      Le seul argument pris en compte: "le long usage de tant de siècles", pour déclarer un texte authentique pèse donc d'un poids léger puisqu'il n'est pas fondé historiquement. Quant aux traditions non écrites reçues par les Apôtres de la bouche même du Sauveur, transmises comme de main en main, elles furent, elles aussi, fabriquées, même si recueillies comme venant de l'Esprit Saint.

      Quoi qu'il en soit, la question à règler requérait des soins immédiats vu l'urgence. La Congrégation générale du 17 Mars 1546  "demanda au Saint-Siège de préparer une version vraiment sûre de la Vulgate",
qui puisse être tenue pour authentique.
      Mesurons la prudence de l'Assemblée conciliaire; elle ne proclame pas que la Vulgate est sans reproche, ni qu'on doit tenir Jérôme pour son auteur, ni même qu'elle est "inspirée" - mais celà va de soi, du fait de l'approbation de l'Eglise- l'intention du Concile était d'arriver non pas à une adaptation par comparaison avec les textes d'origine, mais à une meilleure version par collation des principaux manuscrits existants; il souhaitait une opération analogue à celle des bibliothécaires d'Alexandrie pour éditer le texte de référence d'Homère vers la fin du 3ème siècle avant notre ère.
      Il fallut 44 ans pour aboutir à une édition provisoire, sous Sixte-Quint,en Mai 1590.

f) -Et le Livre fut
      Celui-ci avait enfin décidé en 1585 de créer une Commission ad hoc présidée par le Cardinal A.Carafa et comprenant notamment le jésuite Robert Bellarmin. Cette Commission travailla deux ans de suite, en se procurant de nombreux manuscrits possédés par divers ordres religieux italiens, dont le célèbre Amiatinus du 9ème siècle, propriété des Cisterciens du Monte Amiato. Toutefois, elle prit pour texte de base la Bible de Louvain éditée en 1583 avec en appendice les variantes recueillies par Luc de Bruges Ce choix caractérise bien les limites de l'opération engagée; où est "le long usage de tant de siècles" ?

      Lorsque le travail fut terminé et remis en 1587 au Pape, ce dernier décida de le réviser personnellement; il se mit au travail persuadé de sa compétence critique - n'était-il pas le Vicaire du Christ, omnicompétent, infaillible? - Il prit quelques conseils, et publia son ouvrage en Mai 1590, après également deux ans de travail.
                                    "Le résultat ne fut pas unanimement apprécié"
      Des controverses surgirent notamment à propos de l'Ancien Testament.
      Sixte-Quint avait promulgué sa "Vulgate" par la Bulle "Aeternus ille", dont les termes étaient sans équivoque:

                               "De notre science certaine avec la plénitude de notre puissance apostolique, nous déclarons et statuons                                que la présente édition de la "Vulgate", doit être regardée comme celle que le Concile de Trente a                                proclamée authentique "

      Sixte-Quint mourut le 27 Août 1590, et dès le 5 Septembre les Cardinaux interdirent la vente de l'ouvrage par crainte des moqueries des Protestants.

      Après le décès de Sixte-Quint et d'Urbain VIII, Grégoire XIV, qui leur succéda, entreprit le 7 Février 1591 une nouvelle révision. Une Commission travailla très rapidement et en revint aux propositions de la Commission Carafa; on ne supprima pas cependant la totalité des corrections de Sixte- Quint qui a ainsi laissé son empreinte dans cette révision définitive, baptisée d'ailleurs la "Sixtine"; ce fut la répartition en versets des bibles d'Estienne de Paris qui fut adoptée pour le Nouveau Testament.      
      Grégoire XIV, de santé fragile, mourut en septembre 1591. Son successeur, Clément VIII élu en janvier 1592, promulgua la nouvelle version le 9 Novembre de cette année par la bulle "Cum sacrorum bibliorum". Ce texte devint donc la version officielle de l'Eglise romaine; texte à la fois authentique et "inspiré" puisque approuvé d'avance par le Concile de Trente en 1546; l'édition-type fut celle de 1598, la troisième, qui comprenait les errata des deux précédentes, celles de 1592 et 1593, et de la sienne propre.
      Que l'on ait voulu ne pas offenser la mémoire de Sixte-Quint, en baptisant de son nom la version définitive, n'empêcha pas une certaine polémique de se développer compte tenu des différences entre les deux livraisons de 1590 et 1592; on en a compté 4.900! Ce nombre d'erreurs très élevé, concernant deux éditions si rapprochées, pose inévitablement une question fondamentale sur l'action de l'Esprit-Saint, invoqué tout au long de ses sessions par le concile de Trente. On ne peut douter de la parole de Sixte-Quint lorsqu'il évoquait sa science certaine et la plénitude de son pouvoir apostolique: Vicaire du Christ il possèdait une nature presque divinisée, dans l'impossibilité de se tromper et de tromper ses fidèles. Si l'on admet la justesse de la révision de Grégoire XIV, l'on peut ingénument se demander si Satan n'a pas vaincu l'Esprit-Saint dans l'inspiration de Sixte-Quint; et même, si le deuxième ouvrage n'est pas aussi falsifié que le premier par rapport à un texte, vraiment authentique, lui, mais non encore "inventé" ?

     L'interrogation parait entièrement fondée. La publication de la Sixto-Clémentine eut pour effet immédiat de "désacraliser" les centaines de manuscrits en latin, grec, syriaque, arménien, slavon, copte, éthiopien etc.. lus jusqu'alors comme écritures ayant Dieu pour auteur; ravalés subitement au rang de curiosités, de raretés archéologiques ou philologiques disposées dans les bibliothèques de quelques lieux "sacrés", pour répondre aux questions de futurs universitaires distingués. Mais la Sixto-Clémentine connut un sort identique le 30 Septembre 1943, du fait de l'encyclique "Divino afflante spiritu". Par celle-ci, Pie XII détrônait l'authentique, l'unique texte, voulu par le Concile de Trente, et le replaçait dans la série des versions dites anciennes de la Bible. Pie XII invitait à lire la Bible dans les langues modernes à partir des traductions d'

                                                            un texte scientifiquement fondé et historiquement justifié (6)

     Paul VI, pour sa part, confia à une Commission pontificale le soin d'établir une nouvelle traduction latine de la Bible qui prenne en compte les acquis de la science biblique ! On s'inquiète de cette volonté papale de conformer les paroles de l'Auteur divin aux conclusions d'une science toute humaine, même si appliquée à la Bible; c'est l'Auteur divin qui devrait donner forme à la science biblique et non l'inverse. Serait-ce le début d'un aveu de l'inexistence d'un texte "divin" ? Les recherches de l'Eglise soulignent de fait l'absence à ce jour d'un texte authentique, unique, inspiré, tel que le voulait le Concile de Trente.
      Aveuglée tardivement par le mirage des sources, Elle se noie dans l'océan des écritures en évolution, avant l'imprimerie, sans trouver un atoll où se fixer.
       Le Concile de Trente a usé outrageusement de "l'inspiration" du Saint-Esprit. La réforme protestante suscitait une telle crainte que l'Assemblée conciliaire a inventé une assistance permanente de Dieu, en quelque sorte un miracle continuel. Mais trop est trop! Le miracle permanent nie le miracle, phénomène contre nature, forcément unique. Une aide permanente du Saint-Esprit à l'écriture et à la lecture des Livres Saints transforme "l'inspiration" en phénomènes naturels, qui doivent s'expliquer par des lois naturelles. Il n'existe pas, en soi, de texte "divin", sinon pour un "fidèle" acceptant de le reconnaître comme tel; il s'agit d'une opinion individuelle subjective ou intersubjective; on ne saurait l'ériger en absolu objectif. Au pis-aller, l'on tomberait dans l'imposture.

      Les conditions de la fabrication de laBible officielle romaine manifestent trop clairement l'oeuvre de simples hommes, et ravalent définitivement les invocations à l'Esprit-Saint au rang de formules d'autosuggestion ou d'exercices à la méthode Coué:

                -"Nous n'avons pas de texte originel dont on pourrait dire: voilà la Bible" ( 7 )

               - "La Bible est intégralement oeuvre humaine et ne peut prétendre à un traitement de faveur" ( 8 )

               - "S'il est prétentieux de vouloir diviniser la raison, il est pervers pour l'homme de prétendre parler au nom de                   l'Absolu; ce que je dis de Dieu, c'est un homme qui le dit" ( 9 )

     Ce qu'on appelle inspiration;ou révélation divine, est la révélation progressive de l'esprit humain à lui-même, par le surgissement à partir de l'inconscient des intuitions de toute sorte, et des images premières dynamiques appelées en compensation ou complément de situations vécues.

     Le christianisme et ses écrits dits canoniques sont nés principalement de ce que d'aucuns ont appelé fort justement
                                                                      "l'impérialisme identitaire".


1 Cf. M.DETIENNE -"Transcrire les mythologies -Ouverture" -Ed.Albin Michel       retour
2 Cf. P.SAINTYVES -"Deux mythes évangéliques" -Edt. Emile Nourry -Paris          retour
3 Cf. R.DRAGONETTI "Le Mirage des sources" -Editeur Le Seuil -Paris .               retour
4 Cf. Dictionnaire des Lettres françaises -"Le Moyen-Age" -Le Pochothèque chez Fayard -Paris 1992. Article Bible au Moyen-Age -Pages 174 à 177.                                                                                  retour
5 Cf. G. ALBERIGO -"Les Conciles oecuméniques -Concile de Trente" Tome II -2 -Edition Le Cerf. retour
6 Cf. -Encyclopédie Universalis -"La Bible" Page 582.                                                  retour 
7 Cf. BAUBEROT -"Les retours aux Ecritures -Fondamentalismes présents et passés" -Editeur Peeters -Louvain. retour
8 Cf. F.LAPLANCHE -"La Bible en France" -Op.cit.                                                  retour
9 Cf. F.LAPLANCHE -"La Bible en France" -Op.cit.

 

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